19.

La situation n’était pas juste embarrassante, elle était complètement dingue. Cela faisait quarante-cinq minutes qu’il parlait au téléphone avec les types du Keplinger Institute.

— Écoutez, dit le jeune médecin à l’autre bout du fil. Il semblerait que vous soyez venu en personne et que vous ayez pris le dossier en disant qu’il était top secret.

— Mais enfin ! Je me tue à vous dire que je suis à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane. J’y ai passé toute la journée d’hier. Je suis à l’hôtel Pontchartrain avec les gens de Mayfair & Mayfair. Et je n’ai rien pris du tout. Donc, vous me dites que tout le dossier a disparu ?

— Exactement, docteur Larkin. Disparu. À moins qu’il en existe une copie quelque part et que je ne puisse y accéder. Mais je ne crois pas… Je peux…

— Et Mitch ? Comment va-t-il ?

— Très mal, docteur Larkin. Je ne pense pas qu’il va s’en sortir. Sa femme est sur une autre ligne, je vous rappelle plus tard.

— Non. À votre place, je me mettrais à l’abri. Vous savez très bien ce qui s’est passé. Quelqu’un a tout simplement sorti de l’institut tout ce que Rowan Mayfair m’avait confié, tout ce sur quoi Flanagan travaillait. Vous avez fait une sacrée gaffe, mon vieux ! En plus, Flanagan est dans un état critique et incapable de communiquer.

Il y eut un silence. Puis la même voix jeune reprit :

— Rectification, docteur Flanagan est mort il y a vingt minutes. Je vous rappelle.

— Vous feriez mieux de retrouver tous les dossiers et les fichiers informatiques de chaque expérience menée par Mitch Flanagan pour le Dr Samuel Larkin.

— Vous avez une preuve que vous nous les avez remis ?

— J’ai tout apporté avec moi.

— Et vous les avez apportés vous-même ? Ce n’était pas quelqu’un qui s’est fait passer pour vous ? Comme le médecin d’hier qui n’était pas vous. Il a pourtant donné votre identité. Ah ! Je suis en train de visionner la bande vidéo. Elle est datée d’hier à 4 heures de l’après-midi. C’est un homme grand aux cheveux foncés, il sourit et il montre sa pièce d’identité à la caméra. C’est un permis de conduire de Californie au nom du Dr Samuel Larkin. Et vous dites que vous êtes Samuel Larkin et que vous vous trouvez à La Nouvelle-Orléans ?

Lark était incapable de parler. Il se racla la gorge.

Il se rendit compte qu’il était en train de regarder fixement Ryan Mayfair qui l’observait depuis un moment. Les autres attendaient toujours dans la salle de conférences d’à côté : un cercle de visages solennels autour d’une table en acajou.

— OK, docteur Barry, dit Lark. Je vais demander à mon avocat de vous envoyer mon signalement et une copie de mon passeport, de mon permis de conduire et de ma carte d’identité de l’hôpital universitaire. Vous verrez que je ne suis pas le type de la bande vidéo. Au fait, gardez-la et ne la donnez pas au premier venu qui vous ferait un sourire et prétendrait être la réincarnation de J. Edgar Hoover. Samuel Larkin, c’est moi. Lorsque vous parlerez à Martha Flanagan, présentez-lui mes condoléances. Et ne vous occupez pas de prévenir la police de San Francisco. Je m’en charge.

— Vous perdez votre temps, docteur. Nous ne pouvions pas savoir que cet homme n’était pas qui il prétendait être. Et oubliez la police car vous savez aussi bien que moi que…

— Je vous conseille de retrouver les dossiers. Il doit bien y en avoir une copie quelque part !

Il raccrocha sans attendre la réponse.

Il fulminait de rage et, en même temps, était complètement abasourdi. Flanagan était mort. Il avait été renversé par une voiture en traversant California Street. À sa connaissance, aucun piéton n’avait jamais eu d’accident à cet endroit-là. Il regarda Ryan, incapable de prononcer une parole. Il composa à nouveau le 415 et un numéro qu’il connaissait par cœur.

— Darlene, dit-il. Ici Samuel Larkin. Il faut que vous envoyiez des fleurs à Martha Flanagan. Tout de suite. À l’instant. Oui, c’est parfait. Signez simplement « Lark ». Merci.

Ryan sortit de l’ombre, tourna le dos à Larkin et entra dans la salle de conférences.

Lark attendit un moment. Son visage était trempé de sueur. Il était épuisé et n’arrivait pas à réfléchir. Tant de pensées contradictoires dans son esprit. Tant de violence, d’impatience, de… Il était complètement éberlué. Mitch et lui avaient si souvent remonté ensemble Grant Avenue pour aller manger des pâtés impériaux et du riz chez Goœy Louie. C’était une sorte de rituel depuis New York et l’école de médecine.

Il se leva, ignorant ce qu’il allait dire. Comment leur expliquer tout cela ?

Il entendit s’ouvrir la porte derrière lui et constata avec soulagement que c’était Lightner. Il portait une chemise en papier kraft à la main. Il avait l’air très fatigué, et désemparé.

Ils entrèrent ensemble dans la salle de conférences. Comme ces gens avaient l’air calmes. Tous ces hommes et ces femmes aux yeux rougis par le chagrin avec leurs vêtements de juristes.

— Eh bien… j’ai des nouvelles très troublantes, dit Lark.

Il sentait le rouge lui monter au visage. Il posa ses mains sur le dossier d’une chaise en cuir. Il n’avait pas envie de s’asseoir. Il aperçut un reflet déconcertant de sa silhouette dans les vitres lointaines. Les lumières de la ville scintillaient au-dehors.

— Le dossier médical a disparu ? interrogea Ryan, sans l’ombre d’un reproche dans sa voix.

— Je le crains… enchaîna Lark. Le Dr Flanagan est…mort et personne n’arrive à mettre la main sur le dossier. Et puis quelqu’un… c’est très embarrassant…

— Nous comprenons, dit Ryan. Il s’est produit la même chose à New York hier après-midi. Tous les dossiers génétiques ont disparu. Et à l’institut génétique de Paris aussi.

— Je me trouve dans une position extrêmement gênante, dit Lark. Vous n’avez que ma parole pour croire que cette créature existe, que le sang et les tissus ont révélé ce mystérieux génome…

— Nous comprenons, dit Ryan.

— Je ne vous en voudrais pas si vous me flanquiez à la porte de ce bureau en me disant de ne plus jamais remettre les pieds par ici. Je ne vous en voudrais pas si…

— Nous comprenons, répéta Ryan en esquissant, pour la première fois, un sourire glacial et forcé. Les premiers résultats de l’autopsie menée sur Édith Mayfair et Alicia Mayfair indiquent une fausse couche dans les deux cas. Mais le tissu est anormal. Au stade où en sont les examens, tout semble corroborer ce que vous nous avez appris au sujet des échantillons que vous avez reçus. Nous vous remercions pour votre aide.

Lark était ahuri.

— C’est tout ?

— Nous vous paierons pour le temps que vous y avez passé et rembourserons tous vos frais…

— Attendez ! Qu’est-ce que vous comptez faire ?

— À votre avis ? répondit Ryan. Pensez-vous que nous allons donner une conférence de presse pour annoncer aux médias qu’un mutant de sexe masculin doté de quatre-vingt-douze chromosomes s’attaque aux femmes de notre famille, les insémine et, apparemment, les tue ?

— Pas question que je reste les bras croisés à ne rien faire ! Je ne supporte pas que l’on usurpe mon identité. Je vais retrouver ce type et…

— Vous ne le trouverez pas, dit Aaron.

— Vous voulez dire qu’il est l’un des vôtres ?

— Si tel est le cas, vous ne pourriez jamais le prouver. Nous savons tous que c’est quelqu’un du Talamasca. Personne d’autre n’était au courant des recherches effectuées au Keplinger Institute. Personne à part vous et le regretté Dr Flanagan. Et puis Mayfair & Mayfair, quand vous les avez mis au courant. C’est tout. Il vaut mieux pour votre sécurité que vous retourniez à votre hôtel. Quant à moi, je me dois d’aider la famille. Car c’est une affaire de famille.

— Vous avez perdu la tête !

— Non, docteur Larkin, dit Lightner. Je veux que vous restiez à l’hôtel avec Gerald et Cari Mayfair. Ils vous attendent dehors pour vous ramener. Ne quittez surtout pas l’hôtel. Restez dans votre appartement jusqu’à ce que je me manifeste.

— Entendez-vous par là que quelqu’un veut s’en prendre à moi ?

Ryan fit un petit geste pour réclamer l’attention. Il était toujours dans un angle de la pièce.

— Docteur Larkin, nous avons beaucoup à faire. Nous sommes une grande famille. Appeler tout le monde n’est pas une mince affaire. Et, depuis 5 heures, nous avons eu un nouveau décès dans la région de Houston.

— Qui est-ce ? demanda Aaron.

— Clytee Mayfair. Elle n’habitait pas très loin de chez Lindsay et elle est morte pratiquement à la même heure. Nous pensons qu’elle a ouvert la porte à un visiteur environ une heure après que Lindsay eut fait la même chose à Sherman Oaks. Docteur Larkin, je vous en prie, retournez à votre hôtel.

— En d’autres termes, vous croyez tout ce que je vous ai dit. Vous croyez que cette créature est…

— Nous ne croyons pas, nous savons, dit Ryan. Maintenant, s’il vous plaît, je vous demande de vous installer confortablement à l’hôtel Pontchartrain en compagnie de Gerald et de Cari.

Aaron prit le bras de Lark avant qu’il ne proteste à nouveau et l’escorta jusque dans le couloir. Lark aperçut les deux jeunes gens aux costumes de couleur pâle et aux cravates de soie.

— Écoutez, euh… J’aimerais m’asseoir un instant, dit-il.

— A l’hôtel, dit Lightner.

— Ce serait donc vos collègues qui sont allés prendre le dossier au Keplinger ?

— Je le crains fort, répondit Lightner d’un air visiblement désolé.

— Cela signifierait donc que ce sont eux qui ont tué Flanagan ?

— Pas forcément. Je ne le crois pas. Je pense qu’ils ont… profité de cette opportunité. C’est tout ce que je crois pour l’instant. Tant que je n’aurai pas joint les Aînés à Amsterdam, tant que je n’aurai pas découvert qui ils ont envoyé à l’institut, je ne serai certain de rien.

— Je vois, dit Lark.

— Retournez à l’hôtel et reposez-vous.

— Mais ces femmes…

— Nous contactons tout le monde. Nous appelons tous les Mayfair de la création. Je vous appellerai dès que j’aurai du nouveau. En attendant, essayez de penser à autre chose.

— Penser à autre chose ?

— Que pouvez-vous faire d’autre, docteur Larkin ?

Lark allait dire quelque chose mais les mots ne vinrent pas. Il leva les yeux et vit que le jeune Gerald lui tenait la porte ouverte et que l’autre était impatient de partir, prêt à se retourner. C’était le moment d’y aller. Il leur emboîta le pas sans réfléchir.

L’entrée de l’immeuble était remplie d’agents de sécurité en uniforme, de policiers et de membres du personnel qui les regardèrent passer impassiblement, Lark aperçut l’énorme limousine à travers les portes vitrées.

— Et Rowan ! s’écria-t-il. Est-ce que quelqu’un continue à la chercher ?

Il s’arrêta brusquement. Il n’obtint pas de réponse. Ils n’avaient même pas l’air de l’entendre. Il n’avait plus qu’à entrer dans la voiture aux sièges de cuir. Une tourte aux noix de pacane. Voilà ce qu’il lui fallait. L’hôtel Pontchartrain faisait la meilleure qu’il ait jamais goûtée. Un bon café à la chicorée et une part de tourte aux noix de pacane, il ne demandait rien de plus.

— C’est ce que je vais prendre quand nous serons arrivés, dit-il à haute voix. Du café et de la tourte aux noix de pacane.

— Rien de plus simple, acquiesça Gerald, comme si Lark avait dit pour la première fois quelque chose de sensé.

Lark se mit à rire intérieurement. Il se demanda si Martha avait de la famille pour l’accompagner à l’enterrement de Flanagan.

 

L'heure des Sorcières
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